Commentaires de PostEurop concernant l’étude sur l’impact environnemental du commerce électronique
Chère Madame Skonieczna,
C’est avec grand intérêt que nous avons lu l’étude intitulée “Impact of e-commerce driven transport and parcel delivery on air pollution and CO2 Emissions” (“Impact du transport et de la livraison de colis liés au commerce électronique sur la pollution de l’air et les émissions de CO2”) réalisée, entre autres, par Prognos AG à la demande de la Commission européenne et dont les résultats ont été présentés lors d’un atelier public à la fin du mois de mars 2022, en amont de la publication du rapport final de l’étude en octobre 2022.
Alors que l’étude, conformément au cahier des charges établi par votre Direction générale, avait pour objectif de comparer l’impact du commerce électronique en termes d’émissions de gaz à effet de serre (GES) par rapport au commerce de détail, l’attention s’est rapidement portée sur l’étendue des réductions d’émissions réalisables dans l’ensemble des activités postales et logistiques. Il est indéniable que les processus logistiques ne diffèrent pas vraiment selon qu’un bien soit vendu dans un magasin et récupéré par le consommateur sur place ou acheté en ligne et livré soit au domicile de l’acheteur, soit à un point d’enlèvement désigné pour y être récupéré par le destinataire. Cependant, nous pensons que l’accent
a été injustement mis sur le rôle du commerce électronique dans la pollution de l’air ou les émissions de gaz à effet de serre. Il semblerait que l’étude néglige les efforts déjà consentis volontairement par le secteur pour réduire les émissions de GES et de polluants atmosphériques, alors que les chiffres montrent que les entreprises postales en Europe figurent parmi les précurseurs en la matière, notamment à travers la mise en place de flottes de véhicules alternatifs. Les opérateurs postaux disposent de l’une des plus grandes flottes écologiques de l’industrie, comprenant plus de 30 000 véhicules électriques et 58 000 véhicules alimentés par des carburants alternatifs. À ce jour, jusqu’à 77 % de l’électricité utilisée par les opérateurs postaux provient de sources renouvelables. Les opérateurs postaux s’appuient donc sur les équipes les plus respectueuses de l’environnement, dont 170 000 employés postaux effectuant la distribution à pied et plus de 100 000 effectuant la distribution à vélo ou à bicyclette électrique à travers toute l’Europe. Nous tenons également à souligner que certaines des hypothèses présentées par le consultant semblent peu réalistes et pourraient conduire à des conclusions erronées.
Multiplication des points d’enlèvement
Le consultant part du principe qu’en 2030, la livraison de marchandises à domicile ne sera plus la préférence des consommateurs dans de nombreux pays. Il existerait plutôt un vaste réseau de points d’enlèvement accessibles à tous les opérateurs (casiers, points de vente) où les destinataires viendraient chercher leurs colis à pied ou à vélo. Si la livraison à domicile devient moins courante dans certains pays de l’UE et que la livraison dans des magasins locaux ou des consignes est plus développée dans certains pays nordiques, la livraison à domicile reste parmi les lieux de livraison les plus courants dans la plupart des pays de l’UE.
C’est le constat que font plusieurs études dans le secteur, comme celle réalisée par WIK pour la Commission européenne en 2021 sur les “Besoins des utilisateurs dans le secteur postal et évaluation du cadre réglementaire”, qui a conclu que “la distribution à domicile des lettres fait l’objet d’un large consensus parmi les particuliers. Les changements obligatoires ne seront probablement pas acceptables à l’avenir. La livraison à domicile des colis est également préférée par de nombreux consommateurs (p. 135) […] les utilisateurs ont de plus en plus besoin d’une livraison pratique des colis issus du commerce électronique, ce qui implique une modalité de livraison à domicile par défaut dans presque tous les États membres (p. 151)”.
Compte tenu des préférences actuelles en matière de livraison, il est peu probable que la livraison à domicile disparaisse dans les prochaines années. Les chiffres confirment que la livraison à domicile reste la modalité de livraison préférée dans plusieurs pays. L’enquête d’IPC sur les clients domestiques du commerce électronique indique que 63 % des personnes interrogées ont reçu des colis domestiques à leur domicile, la satisfaction étant la plus élevée pour la livraison à domicile. De plus, l’étude ne tient pas compte des besoins d’une population de plus en plus vieillissante. Pour une population plus âgée, en particulier pour les personnes à mobilité réduite, la livraison de colis à domicile continuera à contribuer de façon importante à la satisfaction des besoins quotidiens. L’élargissement rapide des possibilités de suivi et de traçabilité ainsi que de changement d’adresse/d’heure/de jour de livraison aide les opérateurs postaux à garantir que la grande majorité des colis soient livrés à domicile dès la première tentative.
En outre, l’un des avantages du commerce électronique est qu’il permet d’éviter de transporter des marchandises plus lourdes (par exemple, des tonneaux de vin ou des aliments pour animaux) depuis un magasin vers la maison. Il est donc peu probable que la grande majorité des colis soient collectés à pied et non en voiture, par exemple sur le chemin du retour du travail. Par ailleurs, la complexité de l’orographie, en particulier dans les zones rurales et reculées, fait que la voiture est préférée à la marche, par exemple sous la forme de trajets combinés pour aller chercher les colis et faire les courses hebdomadaires en voiture.
D’autres moyens d’améliorer les performances environnementales de la livraison à domicile ne sont pas pris en considération dans l’étude. Dans le cas de la livraison hors domicile, la charge de la livraison du dernier kilomètre à effectuer avec un mode de transport respectueux de l’environnement (VE, à pied, …) repose sur les consommateurs, tandis que pour la livraison à domicile, la charge repose sur les opérateurs postaux qui ont davantage de capacités d’investissement pour rendre le dernier kilomètre plus écologique. Il est donc dommage que l’étude se concentre sur les performances environnementales de la livraison hors domicile mais ne prenne pas en compte le potentiel des efforts accrus déployés par les entreprises postales pour réduire les émissions de la livraison à domicile, notamment, par exemple, l’électrification de la flotte, l’optimisation des tournées de livraison et l’augmentation du taux de réussite des premières tentatives de livraison. Ainsi, certaines caractéristiques qui sont liées, dans l’étude, à la livraison dans les bureaux, par exemple comme le choix de regrouper les colis à une date fixe, sont également pleinement applicables à l’optimisation de la livraison à domicile. La livraison à domicile n’est donc pas en soi plus dommageable pour l’environnement que la livraison à un point d’enlèvement.
En fin de compte, c’est le respect des choix des consommateurs qui devrait prévaloir, ce qui implique la nécessité de leur offrir une diversité d’options, y compris la livraison à domicile ou hors domicile, afin de répondre au mieux à leurs besoins. Par conséquent, une étude sur le comportement des consommateurs serait nécessaire pour apporter à la réflexion davantage de données et de faits concrets plutôt que des hypothèses qui risqueraient de manquer de réalisme. L’évolution du comportement des consommateurs peut être déclenchée en leur fournissant des données plus transparentes et plus fiables sur l’impact environnemental de leurs choix de livraison.
Plates-formes logistiques urbaines
L’étude semble également avancer l’hypothèse selon laquelle, à l’avenir, les marchandises et les colis ne seront plus livrés dans les centres-villes par différents opérateurs logistiques, mais qu’ils seront acheminés vers des micro-pôles situés dans le centre-ville ou à proximité, où les articles seront ensuite regroupés et livrés sur le dernier kilomètre par des camions “en marque blanche”. Cela démontre une méconnaissance de l’acheminement des colis dans les centres-villes. Un tel modèle n’aurait de sens que si, aujourd’hui, les différents camions de livraison entrant dans le centre-ville ne circulaient pas à pleine charge. En raison du prix élevé des loyers, les magasins des centres-villes ne disposent généralement que de peu d’espace d’étalage, ce qui nécessite une livraison constante de nouvelles marchandises. Dans la pratique, les tournées de livraison vers le centre-ville sont à pleine capacité, de sorte que le remplacement de cinq camions entièrement chargés de différents opérateurs par cinq camions “en marque blanche” n’aurait aucun sens.
L’hypothèse d’un passage à des services en marque blanche, que ce soit pour les consignes à colis ou pour les camions, pourrait entraîner une diminution de l’innovation dans le secteur, une baisse de la qualité du service et une augmentation des prix (en raison d’étapes supplémentaires dans la chaîne d’approvisionnement). Tout cela se ferait au détriment du consommateur final. De plus, à l’heure actuelle, la technologie, le cadre réglementaire pour la protection des données des utilisateurs et des consommateurs et même le contexte culturel montrent que les conditions de sa mise en œuvre ne sont actuellement pas adéquates.
Le taux de groupage des véhicules, qui est un levier essentiel de la performance environnementale du secteur postal, n’est pas suffisamment pris en compte dans l’étude. Plus les véhicules sont remplis, plus les émissions de CO2 par colis sont faibles, ce qui est finalement un indicateur clé pour bien illustrer la capacité du secteur postal à augmenter sa performance environnementale par envoi.
Approvisionnement de proximité
Les experts se sont également penchés sur une modification de la chaîne d’approvisionnement et un déplacement significatif de la production vers des sites intra-européens. Un des effets évidents serait une augmentation significative des coûts, de sorte que l’hypothèse sous-jacente était que soit les clients seraient prêts à payer beaucoup plus pour un produit “proche”, soit un changement majeur dans les politiques commerciales empêcherait les producteurs de pays lointains de vendre sur les marchés européens. Si l’approvisionnement de proximité est déjà une réalité pour les produits de plus grande valeur et que le label “Fabriqué dans l’UE” est utilisé comme outil de marketing, il n’est pas certain que cela s’appliquera également à l’avenir aux produits de faible valeur. Par ailleurs, si l’on prend l’exemple d’un t-shirt, la production serait possible dans l’UE, mais la matière première (le coton) devrait toujours être expédiée sur de longues distances. Le consultant a explicitement déclaré que l’approvisionnement en matières premières n’entrait pas dans le cadre de l’étude.
Passage de l’avion au train
Dernier point, mais non des moindres, pour la production de biens restant en Extrême-Orient, le consultant suggère un changement significatif du mode de transport, de l’avion vers le train. Les hypothèses sous-jacentes, mises en doute par les experts, sont que toutes les lignes ferroviaires partant de la Chine, du Viêt Nam, etc. et traversant la Russie, la Mongolie, le Kazakhstan, etc. seraient entièrement électrifiées et auraient des capacités considérablement accrues d’ici à 2030, ce qui, compte tenu des événements actuels, semble pour le moins douteux. Les experts ont également souligné que la majeure partie des marchandises fabriquées en Extrême-Orient arrivent aujourd’hui en Europe par bateau, et il semble peu probable que le transport ferroviaire puisse remplacer les capacités de transport maritime d’ici à 2030.
Nous restons à votre disposition pour échanger sur ce sujet si vous le souhaitez.
Meilleures salutations,
Mme. Elena Fernández-Rodríguez
Presidente
M. Botond Szebeny
Secrétaire général
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